Entretien avec Bart Somers, maire de Malines: comment bâtir des villes meilleures pour les migrants ?
La migration est moins à la une des journaux. Diriez-vous que ce n’est plus un sujet à Malines ?
Je ne crois pas que la migration s’arrêtera un jour. Elle a toujours existé. Les villes et leurs habitants changent tout le temps, même si ces changements peuvent être lents. En conséquence, je ne peux pas prédire l’avenir, mais une chose est évidente à mes yeux : une ville aura toujours besoin de s’adapter aux changements et à l’évolution de ses citoyens.
Vous avez reçu le prix « World Mayor » 2016. Pourquoi vous ?
Ce prix revient à tous les habitants de Malines. C’est grâce à eux que notre ville a évolué de façon si positive ces 17 dernières années. Dans ce sens, ce prix est une belle reconnaissance de ce que nous sachions déjà : nous allons dans la bonne direction.
Pour moi, l’immigré n’existe pas, tout comme l’autochtone n’existe pas. Aujourd’hui, nous avons une population originaire de 131 pays différents. J’accueille chaque nouveau citoyen à Malines, mais chacun doit suivre les mêmes règles afin de garantir la liberté, la sécurité et le traitement égal de tous. Ce qui compte, ce n’est pas votre origine, mais votre avenir. Tous les habitants, quel que soit leurs origines ou leur religion auront les mêmes opportunités dans la société.
Quand la Belgique a dû accueillir des réfugiés en 2015, nous avons demandé, en tant que ville de Malines, de recevoir 200 personnes, sans besoin d’attendre à ce que le gouvernement central nous force à le faire. C’était notre responsabilité d’offrir notre aide à ceux dans le besoin. C’est dans cet esprit que de nombreux habitants ont créé l’ONG « Bienvenue à Malines ». C’est une initiative qui me réchauffe le cœur : il s’agit d’un réseau de Malinois engagés qui veulent aider les nouveaux-venus, les réfugiés et les demandeurs d’asile à trouver leur chemin dans notre ville et à se sentir chez eux. Ils organisent des ateliers, des promenades dans la ville et des projets de partenariats.
Quelles initiatives avez-vous mis en œuvre pour assurer l’accueil et l’intégration des migrants ?
La ville redouble d’efforts pour s’assurer que tous ses résidents soient inclus dans des programmes sociaux dès l’enfance. La population de Malines compte 22% de mineurs, ce qui en fait l’une des villes les plus jeunes de Flandre.
Nous sommes en charge de neuf centres spéciaux qui organisent des activités périscolaires pour les enfants vulnérables. En plus de cela, la ville travaille avec des éducateurs spécialisés pour que les jeunes restent motivés et occupés. Ces éducateurs suivent aussi les progrès scolaires des enfants pour éviter qu’ils ne quittent l’école. Ils essaient de les encourager à prendre de bonnes décisions, et à réussir leur vie.
Travaillez-vous avec d’autres acteurs de la société tels que les ONG, la société civile ou le secteur privé ?
J’ai la conviction qu’une ville se fait en travaillant ensemble. Voilà pourquoi nous travaillons avec différents partenaires à Malines, des maisons de jeunesse, de club de football ou des écoles.
Quand nous avons pris l’initiative d’accueillir 200 réfugiés, nous avons temporairement travaillé avec la Croix Rouge. Nos citoyens étaient impliqués aussi à travers notre communauté « Mechelen maker », un projet que nous avons lancé pour engager les Malinois à améliorer notre ville. Le but de tout cela est de créer un large réseau pluridisciplinaire dans lequel personne n’est laissé pour compte. C’est le noyau de la politique inclusive.
Êtes-vous confronté à une opinion publique récalcitrante ou à des discours anti-migration ? Comment y faites-vous face ?
Dans chaque société, il y a des gens avec de différentes opinions sur le sujet. Ce serait utopique de croire que nous pouvons tous être sur la même longueur d’ondes.
Pour que les citoyens comprennent ce que peuvent vivre les migrants aujourd’hui, ouvrons les yeux sur notre histoire. Pendant la 2e guerre mondiale, des milliers de Malinois ont fui leurs maisons à la recherche d’une sécurité en Angleterre, en France ou en Amérique. C’est dans ce cadre, que, nous avons fait, il y a quelques années, une présentation avec ces histoires. Nous avons trouvé de vieilles lettres écrites aux familles qui leur avaient donné un toit, dans lesquels les Malinois exprimaient leur gratitude. En humanisant la situation, nous pouvons dépasser les discours simplistes de polarisation.
Malines compte 86 000 habitants. De quelle façon les villes de taille moyenne peuvent-elles mieux gérer l’intégration des migrants que les grandes villes ?
Le modèle de Malines, comme certains l’appellent, n’est pas un modèle magique que l’on peut copier et coller ailleurs. Cela dit, je crois que l’effort principal devrait être d’unir les gens plutôt que de les opposer. Nous devrions faire cela dans le respect de la liberté de chacun, sans mettre en danger nos principes fondamentaux tels que le respect de la loi, l’égalité des femmes et des hommes et la lutte contre la discrimination.
La taille de notre ville est un facteur déterminant dans notre approche à la migration, mais cela ne signifie pas pour autant que tout espoir est perdu pour les autres villes. La mentalité d’unité qui conduit la politique migratoire est essentielle pour développer un modèle d’intégration productif.
Votre ville reçoit-elle des aides financières pour l’intégration des migrants ? Rencontrez-vous des difficultés ?
C’est difficile de catégoriser tout le soutien financier dans nos politiques d’inclusion, étant donné que nous sommes rarement seuls à mener un projet, et les projets eux-mêmes sont parfois directement liés à la migration, mais parfois seulement de façon indirecte.
Nous travaillons avec beaucoup de différentes organisations, par exemple, pour accompagner des femmes migrantes avec de jeunes enfants. Un autre projet s’occupe de garde d’enfants pour les parents qui suivent des cours de Néerlandais. Le financement vient de la fondation Roi Baudoin. Si nous regardons la pauvreté en Flandre, elle a une forte tendance à affecter les migrants, et donc les ressources que nous recevons pour les projets de cet ordre-là peuvent aussi être liés à la migration.
Il y a deux ans, des milliers de demandeurs d’asile sont venus en Europe. Quelle est votre opinion sur la façon dont les Etats membres de l’UE ont géré cela ?
Cela montre avant tout la force de l’UE, mais aussi sa faiblesse. Cette période difficile a montré la distance qui existe entre l’UE et les collectivités. A cause du manque de coordination entre les différents niveaux de gouvernance, l’accueil et l’intégration de milliers de migrants a pris un tournant complexe. Aujourd’hui, nous entendons des récits alarmants de trafics d’être humains. Des gens sont vendus comme des esclaves, des industries mafieuses grandissent : cela montre les défis auxquels l’UE doit faire face. Je crois toutefois que l’UE peut apprendre de cette expérience, et qu’elle trouvera une façon d’en ressortir plus forte. Car sans l’UE, nous sommes perdus.
Comment l’UE devrait-elle concevoir la gestion de l’intégration des migrants ?
Le principe de subsidiarité est essentiel pour y réussir. L’UE devrait en effet gérer ses frontières extérieures et créer des règles claires pour leur gestion. Mais les villes et les régions devraient s’occuper du côté humain de l’histoire. Elles devraient être soutenues. A ce niveau, l’échange de bonnes pratiques est essentiel.