Pourquoi éduquer à la citoyenneté mondiale dans nos municipalités ?
Judith Muñoz (Université de Barcelone) réfléchit sur la nécessité de promouvoir l’éducation à la citoyenneté mondiale (ECM) à partir des villes et des villages comme un pari résolu pour la transversalité et la cohérence, le dialogue interne et l’intégrité des politiques municipales dans leur engagement face aux grands défis mondiaux.
Relever le défi de construire des villes qui éduquent à la citoyenneté mondiale signifie s’engager à relever les principaux enjeux mondiaux : la transition écologique, l’égalité des sexes, la réduction des inégalités mondiales, la paix et le respect des droits de l’homme. Dans le même temps, elle permet de comprendre comment les dimensions locales et mondiales sont imbriquées dans la vie quotidienne des gens. Les magasins de nos quartiers vendent des produits fabriqués à des milliers de kilomètres, nous vivons avec des personnes nées dans différentes parties du monde, nous utilisons des technologies qui nécessitent des ressources naturelles extraites de l’autre côté de la planète. La mondialisation fait désormais partie de l’expérience quotidienne de nos voisins, mais les administrations locales disposent rarement de l’espace nécessaire pour réfléchir aux implications et aux opportunités offertes par ce nouveau modèle économique, social et culturel.
L’éducation à la citoyenneté mondiale (ECM) offre un espace dédié, car il s’agit d’une proposition conceptuelle, procédurale et éthique qui peut fournir des contenus et des stratégies politico-pédagogiques aux différents niveaux de l’administration locale. L’objectif est double : faciliter la compréhension de l’interdépendance globale qui caractérise la vie sur la planète, et promouvoir des processus de coresponsabilité civique et de transformation sociale en matière de justice locale et mondiale. Dans un monde interconnecté, l’éducation à la citoyenneté mondiale aide à comprendre la complexité des processus de mondialisation économique, financière et sociale et leur interrelation avec la crise écologique et avec différents conflits socio-environnementaux, de travail ou migratoires. Cependant, il ne se concentre pas uniquement sur les effets des problèmes sociaux. Elle promeut également une analyse rigoureuse des causes qui expliquent les processus d’appauvrissement, d’exclusion, d’inégalités entre les sexes ou de crise climatique. Pour ce faire, l’éducation à la citoyenneté mondiale fournit des arguments et des outils permettant d’améliorer la cohésion sociale, de réfuter les fake news ou de contrer les discours haineux qui nuisent à la coexistence.
Elle fournit également l’occasion de générer une complicité entre l’administration et les citoyens, notamment avec les jeunes générations et avec ceux qui participent à des espaces qui cherchent à influencer la transformation sociale. En effet, de plus en plus de personnes à travers le monde comprennent que, quel que soit l’endroit où nous sommes nés, nous partageons un avenir collectif et que nos actions et décisions ont un impact au-delà de notre propre territoire. Dans cette optique, la promotion de la citoyenneté mondiale ou d’un cosmopolitisme réflexif facilite la participation et l’implication des citoyens. D’autre part, elle constitue une grande opportunité pour le développement et la cohésion des villes. En effet, elle peut fournir des valeurs et des bases conceptuelles pour la création d’un modèle de ville plus habitable, solidaire, durable et coresponsable, qui tient compte du bien-être de ses habitants et également de ceux qui vivent au-delà des frontières du pays.
Le fait d’associer la participation des citoyens à l’idée d’interdépendance humaine et de responsabilité sociale permet de garantir et de consolider la démocratie. Elle offre également une fonction éducative importante, car elle permet aux citoyens de créer des liens, d’approfondir leur expérience démocratique, de se responsabiliser et de développer des sentiments d’appartenance à une communauté locale et mondiale. Cependant, conformément aux nouvelles tendances mondiales et technologiques, les personnes engagées dans ces questions participent souvent à des espaces non traditionnels, tels que les réseaux sociaux ou les organisations informelles et éphémères. Par conséquent, nos villes ont pour tâche de rendre les concepts de participation plus flexibles, moins bureaucratiques et plus larges, et de concevoir de nouveaux instruments permettant de s’adapter aux nouvelles réalités émergentes.
Pour avancer dans tous ces défis, il est nécessaire d’approfondir plusieurs aspects essentiels : l’idée que la ville a une fonction éducative transversale ; qu’elle exerce à travers ses institutions traditionnelles comme les écoles, les bibliothèques, les musées ou les centres civiques : qu’elle éduque également à travers les lois, les politiques, les règlements et les ordonnances, à travers la prestation de services, l’attention des citoyens et, en particulier, à travers son propre exemple. La ville constitue un espace privilégié qui offre de multiples possibilités éducatives. Les gouvernements locaux disposent d’outils de politique publique tels que des récompenses, des sanctions, des permis, des interdictions, des accès ou des restrictions qui permettent d’inciter ou de décourager les comportements et les décisions collectives et individuelles. Par exemple, les politiques de subvention sont essentielles pour encourager les projets ou les interventions de citoyenneté mondiale. Récemment, un intérêt croissant s’est manifesté pour l’introduction d’outils de type nudge, une forme de conception institutionnelle peu onéreuse. Basé sur des études cognitives, le nudge permet de stimuler ou d’activer certains comportements civiques et socialement responsables à travers de petits coups de pouce planifiés à partir d’une approche de la citoyenneté mondiale.
Il est important de se rappeler que les villes éduquent autant par ce qu’elles font que par ce qu’elles ne font pas. Par exemple, l’absence de programme de soutien à l’économie sociale et solidaire peut envoyer le message que ces initiatives sont sous-évaluées. Dans un autre domaine, un programme de gestion des déchets peut avoir un impact négatif, neutre ou transformateur sur la réflexion et l’implication des citoyens dans certaines questions. Par exemple, en ce qui concerne la justice climatique, selon qu’il s’accompagne ou non de stratégies expliquant pourquoi et à quoi sert le recyclage, compte tenu des impacts environnementaux à l’échelle locale et mondiale.
Il existe un autre élément éducatif par excellence : la communication publique. Cela pose le défi de construire un récit de la ville dans un langage compréhensible et accessible, capable de susciter l’empathie avec les différentes réalités et de promouvoir les valeurs de la citoyenneté mondiale. Les messages sociaux, culturels et politiques doivent expliquer les causes des inégalités, de l’exclusion ou des conflits environnementaux, en intégrant les dimensions locale et mondiale. Cependant, c’est par l’exemple et la cohérence des politiques que leur potentiel peut être exploité et multiplié. En effet, afin de ne pas contredire le message et de progresser en matière de citoyenneté mondiale, il est essentiel de mettre l’accent sur des questions telles que les marchés publics, les contrats et les appels d’offres afin qu’ils intègrent des critères de durabilité, d’égalité des sexes et de droits de l’homme.
Comme le souligne un récent article à propos des marchés publics[1], de nombreuses entreprises ayant obtenu des contrats avec des administrations publiques opèrent dans des pays où elles réalisent des bénéfices importants, parfois au détriment des droits de l’homme de la population locale, ou elles génèrent de graves impacts socio-environnementaux. Par conséquent, éduquer signifie également promouvoir des cadres de responsabilités pour les acteurs privés. Il convient de définir des codes éthiques et des règlements pour les entreprises. Ceux-ci doivent établir des limites et des conditions tout en favorisant l’industrie et le commerce éthiques et locaux.
Dans la région de Barcelone, il existe diverses expériences et bonnes pratiques de citoyenneté mondiale dans les conseils municipaux de petite ou de grande taille. Par exemple, l’application de l’économie circulaire, la promotion du leadership des communautés de migrants, l’éducation à la justice environnementale liée au traitement des déchets, ou les achats éthiques et de proximité. Ces expériences ont un impact favorable tant au niveau mondial que local. En outre, elles sont intégrées de manière cohérente dans le récit de la ville en tant que valeur ajoutée. Cependant, il existe également de nombreuses initiatives similaires qui, malheureusement, ne parviennent pas à avoir d’impact. Les motifs sont divers : fragmentation entre les domaines, manque de coordination entre les départements ou simplement manque de soutien. Dans d’autres cas, les expériences se chevauchent ou manquent de visibilité parce que le conseil municipal n’a pas encore intégré la citoyenneté mondiale comme un axe transversal de sa gestion, empêchant ou limitant ainsi son potentiel transformateur.
Toutefois, ces difficultés représentent également un défi et une opportunité, notamment pour les petites et moyennes municipalités. En effet, l’intégration de l’éducation à la citoyenneté mondiale dans une municipalité ne nécessite ni ressources supplémentaires ni personnel spécialisé. Il s’agit plutôt de renforcer ce qui se fait déjà et de s’appuyer sur les synergies internes et communautaires. Ces actions permettent de construire des projets de ville de manière participative, en utilisant pleinement le potentiel technique de l’administration et les connaissances des citoyens. Ce nouveau cadre implique de progresser dans le renouvellement et la redéfinition de la dimension et de la portée que doivent avoir les programmes de relations et de coopération internationales mis en œuvre par les conseils municipaux. Le défi actuel consiste à unir les forces et travailler en réseau. En outre, il est nécessaire d’établir des mécanismes permettant de travailler de manière transversale. Ceux-ci concernent notamment les aspects sociaux, économiques, environnementaux et de genre qui peuvent contribuer au développement durable et équitable de la planète.
L’éducation à la citoyenneté mondiale est un parti pris ferme en faveur de la transversalité et de la cohérence, du dialogue interne et de la globalité des politiques municipales. Les villes et les agglomérations sont les lieux de relation les plus proches entre l’administration et les citoyens, les lieux où la vie quotidienne se mêle à la gestion publique, et où la politique locale a un impact visible et concret. À cet égard, les conseils municipaux, petits ou grands, ont l’opportunité et la responsabilité de diriger des processus éducatifs transformateurs. Ils s’appliquent aussi bien en interne qu’en externe, à un niveau aussi bien local que mondial.
[1] González, Lina M; Talvy, Judith i Castro, Miguel. (2021). La compra pública socialment responsable (Les marchés publics socialement responsables, en français). Revista Sud 25.
(Photo d’Element5 Digital sur Unsplash)